mercredi 28 mars 2012

Des conseils d'administration et de leur composition

Dans un blog récent je commentais la volonté de certains d'imposer des quotas les conseils d'administration. J'y citais Mme Reding (commissaire européenne à la justice) et Mme Parisot (Présidente du Medef - France). Mme Reding aimant dire que si Lehman Brothers avait été Lehman Sisters, elle n'aurait pas fait faillite. Mme Parisot dernière indiquant que toutes les études montrent qu'une plus grande proportion de femmes dans les conseils d'administration entraine une meilleur gestion. J'indiquais que je ne croyais pas que l'un était la conséquence de l'autre mais simplement que les deux étaient corrélés.

Maintenant une étude publiée par la Deutsche Bundesbank (banque centrale allemande) indique que même la corrélation est incorrecte et que Lehman Sisters a plus de chance de faire faillite que ses frères. L'analyse des auteurs montrent qu'une plus grande proportion de femmes dans les conseils d'administrations mène à de plus grands risques dans la conduite des affaires des banques.

Cette affirmation nécessite quelques explications. L'étude est publiée par la Bundesbank mais celle-ci s'empresse de préciser que les résultats "ne reflètent pas nécessairement les vues de la Deutsche Bundesbank ou de ses employés". L'analyse porte sur des banques allemandes entre 1994 et 2010. L'étude n'affirme pas que la prise de risque supplémentaire est due au fait que certains membres des conseils d'administration sont des femmes. Elle attribue cet accroissement des risques au fait que les femmes dirigeantes ont, je cite, "significativement moins d'expérience" que leurs équivalents hommes et que ce manque d'expérience entraine les risques. Encore une fois il est important de distinguer conséquence et corrélation.

La même étude montre que l'accroissement du nombre de dirigeants avec un doctorat réduit la prise de risque. Elle attribue cela "au fait que des dirigeants mieux formés emploient des techniques de gestion des risques plus sophistiquées et adaptent le modèle des affaires en conséquence".

Les points principaux de cette étude me semblent être que plus d'expérience, plus de formation et des techniques de gestion des risques plus sophistiquées mènent à une gestion moins risquée pour les banques. Toutes ces conclusions vont à l'encontre de quotas si ceux-ci augmentent le nombre de membres sans l'expérience et les qualifications requises.

Dans un passé récent, la Belgique a connu une certaine gestion risquée de ses banques qui a conduit à certains désagréments, pour employer un euphémisme. Peut-on appliquer les conclusions de cette étude à la situation actuelle et voir si des leçons ont été retenues? Il reste une grande banque belge (Dexia Banque Belgique/Belfius) et son conseil d'administration a été renouvellé entièrement récemment. Peut-on noter ce conseil d'administration en terme d'expérience bancaire, de formation et de gestion des risques sophistiquée?

Dans mon blog lors de la nomination de ce conseil d'administration de cette banque, je faisais une brève description du CV de ses membres. Parmi les dix membres du conseil, il y a cinq docteurs (tous en économie). La moitié, c'est plus que dans la population en générale mais pour certaines équipes des banques, ce n'est pas nécessairement énorme. Dans les équipes d'experts des grandes banques, les équipes d'analyse quantitative en particulier, il y a souvent plus de trois quarts de docteurs. En ce qui concerne l'expérience bancaire, il y a quatre membres avec une expérience bancaire. Et pour ce qui est de la gestion des risques des banques, il y a un seul membre (Mr Wibaut, qui a travaillé à l'ALM chez Dexia) qui semble remplir ce critère.

[Ajouté le 6 avril 2012] Dans le journal Financial News du 2 avril, j'ai trouvé une statistique intéressante pour les comités de direction des grandes banques. D'après le journal, dans les dix plus grandes banques du monde, il y a en moyenne 35% de banquiers d'investissement (qui ont passé une grande partie de leur carrière de ce département ou qui y ont eu un poste a responsabilité) dans les "management board" et ce chiffre est en augmentation. Chez Dexia/Belfius cette proportion est de 0; mais elle ne fait pas partie des 10 plus grandes banques du monde!

Le bulletin est donc: Formation - 5/10; Expérience - 4/10; Gestion des risques - 1/10; Banquiers d'investissement - 0. Et ce bulletin est en gros progrès par rapport au précédent! Elève Belgique, c'est mieux, mais il y encore des progrès à faire pour arriver à la moitié.

J'ai vu un troupeau terriblement dangereux de moutons dociles.
Paul Krugman - économiste - 1997.

samedi 24 mars 2012

Commission Dexia: le rapport - 1

Le rapport de la commission Dexia a été écrit et devrait être voté en séance dans la semaine. Au moment d'écrire ce blog, je n'ai pas trouvé le rapport lui-même sur le site de la chambre. Les commentaires ci-dessous sont basés sur des articles de presse. Je ferai d'autres commentaires quand le rapport sera diffusé au public (j'espère qu'il sera librement accessible, et non caché comme les rapports annuels du Holding Communal qui ont disparus de leur site).

Les premiers commentaires concernent la forme du rapport. C'est un rapport écrit par des hommes politiques sur des faits où des hommes politiques sont impliqués. Il ne peut donc en aucun cas être vu comme impartial. Je ne mets pas en cause l'honnêteté individuelle des membres de la commission mais chacun d'eux est à la fois juge et partie dans l'affaire. Cette partialité est claire dans le vote des conclusions par la commission: 8 voix pour,  5 voix contre, majorité contre opposition. Cette implication de la majorité dans les faits débattus est claire quand on regarde la liste des (anciens) membres du conseil d'administration de Dexia SA: E. Ri Rupo (PS), S. Kubla (MR), F. Vermeiren (VLD), D. Donfut (PS), K. De Gucht (VLD), E. Andre (MR), J.L. Dehaene(CVP), and P. Mariani (ex-cabinet de N. Sarkozy). J'ai indiqué Mr Mariani, bien qu'il ne soit pas un pure politique (il n'a jamais été élu si mes informations sont correctes), uniquement pour insister qu'il était là pour des raisons politiques. Il n'a pas d'expérience réelle de banquier, pas plus que ses prédécesseurs P. Richard (haut fonctionnaire français) et A. Miller (avocat d'affaire). Ce vote majorité contre opposition, en plus l'exclusion du seul membre de l'opposition (le député Gilkinet) de son rôle de rapporteur, renforce le caractère politique du rapport. A ma connaissance l'exclusion a été faite à huis-clos (sans transparence), majorité contre opposition. D'après les termes mêmes de la présidente de la commission, le député Gilkinet était un des plus assidus et faisait très bien son travail, pourquoi se priver de ce travail lors de l'écriture du rapport?

Un second point sur la forme, et je m'étonne qu'il n'en soit pas plus question dans la presse, est l'absence de Mr Leterme aux auditions de la commission. Il a été convoqué trois fois par la commission, n'a jamais répondu et n'est jamais venu. Malheureusement il ne s'agissait pas d'une commission d'enquête et la commission ne pouvait pas le forcer à venir. On ne peut donc le condamner légalement, mais on pourrait au minimum le condamner moralement (rappeler son absence de manière régulière) et ajouter un article dans les règles des commissions de la chambre interdisant aux personnes ne se présentant pas aux commissions d'être membre d'une de ces commissions, sauf à être entendu par une commission d'enquête sur cette absence. Comme je n'attends pas qu'une telle règle soit votée, il ne reste que la condamnation morale et donc je répète: Mr Leterme, ancien premier ministre belge, n'a pas répondu à trois invitations d'une commission de la chambre des représentants, sur une période de six mois et de ce fait a perdu tout crédit dans le domaine de la vie publique belge. En parlant d'un participant de la saga Dexia, ancien premier ministre, qui a perdu tout crédit dans le domaine de la vie publique, je voudrais rajouter Mr Dehaene, pour son refus d'organiser des élections démocratiques en sa qualité de bourgmestre. Au moins pour lui on peut encore espérer une condamnation pas la justice.

Pour le fond, avant de passer à ce qui se trouve dans le rapport, parlons de ce qui ne se trouve pas dans le rapport. En lisant la liste de membres du conseil d'administration donnée plus haut et en se rappelant de l'absence de compétence bancaire de chacun d'entre eux, on pourrait espérer une petite recommandation comme: nommer des membres de conseil d'administration compétents. J'avais fait un blog sur notre premier ministre actuel et sa participation au conseil d'administration de Dexia pendant la période incriminée dans le rapport (2002-2007). Mais j'aurais pu remplacer ce nom par n'importe lequel dans la liste. Je voudrais faire une toute petite exception partielle pour Mr Kubla. Non pas qu'il ait été plus compétent que les autres mais c'est le seul qui après les faits a dit "j'estimes qu'on nous a menti". C'est le seul apparemment qui a eu assez de jugement et de courage pour accepter ce fait. Cela ne pardonne pas son absence de compétence en tant qu'administrateur mais au moins lui rend un peu de crédibilité comme personne publique.

J'en viens aux recommandations. Le système bancaire actuel c'est développé sur plusieurs centaines d'années et implique des millions de personnes. Le comprendre (et l'améliorer) nécessite une expérience et des connaissances qui ne peuvent s'acquérir que sur de nombreuses années. En lisant certaines recommandations j'ai l'impression qu'elles ont été écrites pas des amateurs peu éclairés qui découvrent cette matière. Je ne sais pas si les experts de la commission ont participé à l'écriture de ces recommandations, mais si c'est le cas, cela ne parle pas en faveur de leur "expertise".

Contrôle renforcé

Je suis certainement en faveur de contrôles renforcés si contrôles renforcés ne veux pas dire plus de règles mais de meilleures règles. Interdire des produits ne me semble pas une bonne règle mais imposer plus d'information sur les produits et pouvoir dire qu'une banque a manqué à son devoir de conseil dans certains cas me semble important. Que les régulateurs puissent assister aux conseils d'administration comme observateurs est une bonne idée, mais en quoi les régulateurs de demain seront-ils plus capable que les administrateurs d'hier s'ils sont nommés de la même façon?

Dépôts mieux rémunérés

C'est en lisant cette recommandation en particulier que je pensais "amateurs" en parlant des rédacteurs. La recommandation est de modifier la tarification en instaurant un système où les dépôts à échéances plus longues reçoivent des taux plus hauts. Les taux des dépôts dans le marché varient en fonction de leur maturité et de l'entité à qui on dépose les sommes. Souvent la courbe des taux est croissante (les taux pour une plus longue maturité sont plus hauts) et on parle de courbe "normale"; mais ce n'est pas toujours le cas parfois la courbe est décroissante et on parle de courbe inversée. Imposer une courbe croissante dans la tarification des banques revient à imposer une crise en cas de courbe inversée. Si la courbe réelle est inversée et la courbe forcée des banques est normale, soit leurs taux courts seront trop bas, soit leurs taux longs seront trop hauts. Dans le premier cas elles manqueront de dépôts (crise de liquidité), dans le second cas elles feront de pertes systématiques sur les dépôts long terme (crise de solvabilité). Cette croyance de courbe croissante en permanence a été à la base de la crise des "saving and loans" américains dans les années 80 et 90 et de très nombreuses faillites. Essayons de ne pas créer les germes de la prochaine crise en laissant des amateurs analyser la précédente. Une des raisons pour laquelle les banques belges ont beaucoup de dépôts à court terme (compte d'épargne) est la conséquence d'un choix de nos élus. Il y a une tranche non imposée d'intérêts sur les comptes d'épargnes et pas sur les comptes à terme et bons de caisse. Donc pour offrir un même taux net sur un dépôt à terme que sur un compte d'épargne les banque doivent payer 26.5% de plus en brut à cause de l'impôt de 21% (21/79=26.5%). Pourquoi essayer d'éliminer un symptôme (manque de dépôts à moyen/long terme) quand les recommandations devraient s'attaquer à la maladie (une fiscalité incohérente)?

Administrateurs

Une des recommandations concerne les administrateurs et indique que les députés (et d'autres fonctions publiques) ne pourront plus être administrateurs de banques systémiques. C'est très bien mais peut-être pourrait-on aller une étape plus loin. Certaines fonctions publiques sont des fonctions à temps plein (députés, membres de cabinet, fonctionnaires, etc.), il devrait leur être interdit d'avoir une autre fonction et en particulier un mandat d'administrateur dans une société importante quelconque. De même après leur mandat, les élus qui reçoivent une indemnité de sortie devraient être interdit de ces fonctions d'administrateur durant toute la période de cet indemnité. Cela nous éviterais à l'avenir d'avoir quelqu'un comme Mr Dehaene qui, tout en étant député Européen à temps plein, bourgmestre combattant la démocratie à temps plein, reçoit quelque millions de Inbev par an pour son carnet d'adresse d'ancien premier ministre après avoir été administrateur de la défunte SABENA, de la défunte et frauduleuse Lernout-Hauspie et de la presque défunte Dexia.

Experts permanents

La commission recommande de créer un comité d'experts permanents. C'est une très bonne idée. Encore faut-il trouver des experts. Je ne doute pas qu'ils existent en Belgique mais je ne suis pas sur qu'on les cherche là où ils sont. Pour la commission Dexia, le parlement a du faire appel à des experts extérieurs, est-ce avouer qu'il n'y a pas d'experts "intérieurs", qu'il n'y a pas l'expertise pour aider la commission dans les comités existants? Quels sont les experts qui ont aidé la commission? Un académique avec certaines connaissance certes, mais qui n'a jamais travaillé dans une banque et dont l'expertise du milieu bancaire n'est pas évidente. Le deuxième était un réviseur d'entreprise. Un réviseur pour aider à comprendre une entreprise qui a été révisée à de nombreuse reprises mais qui a complètement faillit. Je voudrais un peu plus de ce comité: de vrais experts (par exemple ceux qui sont invités comme conférenciers dans les séminaires internationaux de finance) avec une vraie expérience bancaire (par exemple dix années d'expérience dans la gestion des risques ou dans une salle de marché).

Prêts incestueux

La commission propose de revoir un article du code des sociétés pour empêcher des prêts "incestueux" (prêts d'une société d'un groupe aux actionnaires du même groupe pour une augmentation de capital). Cette manière d'éviter un problème particulier avec une règle particulière est pour moi une mauvaise manière d'approcher la régulation. Il "suffirait" d'avoir une régulation basée sur des principes et des régulateurs qui analysent la situation (par opposition à des régulateurs qui remplissent des formulaires). Le but du capital d'une banque est (de manière simplifiée) une protection contre les pertes potentielles. Si une banque prête à un de ses actionnaires pour acheter ses actions, quelle est la situation? En cas de difficultés de la banque (difficultés extérieure à ce prêt), la valeur des actions diminue, les actionnaires font des pertes et ne peuvent plus rembourser le prêt et il y a une perte pour la banque; le montant obtenu par la vente d'action disparait dans la perte et le rôle du capital (protection) n'est plus rempli. On peut dire que le capital n'existe pas ou dire qu'une réserve pour risques particuliers doit être enlevée du capital, quel que soit le choix des mots, pour l'analyse du bilan par les régulateurs, ce montant ne devrait pas être pris en compte. Pourquoi essayer d'éliminer un symptôme (des articles du code des sociétés) quand les recommandations devraient s'attaquer à la maladie (une régulation irréaliste)?

Cela me mène une fois de plus à mon slogan à propos des régulateurs depuis le début de la crise (voir mes blog Bannissement et régulateurs / Régulateurs et évolution):

Moins de régulation et des régulateurs (et dans ce cas-ci, des experts) plus compétents!

LIBOR, mon beau LIBOR.

Depuis le début de la crise on a vu apparaitre dans la presse plusieurs références aux indices Ibor (Libor, Euribor, Tibor, …). Ce type de chiffre est publié depuis plus de 25 ans; le premier chiffre de BBALibor a été publié en janvier 1986. Mais ce qu'il représente exactement ne semble pas clair pour tout le monde.

Un point important de ces chiffres est leur définition exacte. La définition de Libor est la réponse à la question: "At what rate could you borrow funds, were you to do so by asking for and then accepting inter-bank offers in a reasonable market size just prior to 11 am?” Reference: http://www.bbalibor.com/bbalibor-explained/the-basics . Une traduction très libre serait: "les taux auxquels les banques prétendent qu'elle pensent qu'elles pourraient emprunter dans un marché qui n'existe plus". Cette définition est un peu provocatrice mais n'est pas très loin de la vérité. Les chiffres sont calculés comme des moyennes de chiffres fournis par des banques. Les banques doivent faire une estimation de leur coût de financement et fournir le chiffre. Il n'y a pas de description de comment l'estimation doit être faite ni de qui dans la banque doit la faire. Le début très conditionnel de ma définition reflète ces incertitudes. Les chiffres fournis ne sont pas liés à des transactions réelles, qui bien souvent n'existent pas. La définition fait référence au marché des prêts interbancaires. Depuis le début de la crise en 2007, ce marché a fortement diminué pour être quasiment à l'arrêts à certains moments. C'est cette absence de marché sous-jacent fonctionnant de manière efficace justifie le "qui n'existe plus" de ma définition.

Les chiffres Libor (or Euribor) sont souvent appelés "taux (d'intérêts)". Je préfère utiliser le terme "indice". Le but de ces chiffres est de représenter un taux. Mais comme les chiffres ne sont pas des vraies transactions et qu'il y a une manipulation des chiffres (les chiffres extrêmes sont éliminés et une moyenne arithmétique des chiffres restants est calculée), le terme "indice" est plus neutre. De plus l'utilisation de ces chiffres se fait sous licence (de BBA ou Euribor-EBF) et est en générale payante. Les "faits" (comme l'heure de levé du soleil ou les jours du calendrier) ne peuvent pas faire l'objet d'un enregistrement ou d'une licence. L'existence de cette licence renforce l'idée que les chiffres sont plus des oeuvres de fictions sur lesquels il y a un "copyright" que des faits.

Ces détails et différences subtiles entre indices, vrais taux interbancaires et taux sans risques semblent être découverts par certains depuis la crise. Les analystes quantitatifs et les traders expérimentes connaissaient la différence et en tenaient compte. Quelques articles académiques ont développé des cadres théoriques de ces différences. Mais ces détails ne semblent pas avoir été compris et utilisés par la majorité, en particulier par les économistes, les comptables et le management des banques. Une recherche sur internet permet de trouver ces articles datant d'il y a plus de cinq ans. Mais si on en croit les rumeurs (ou des articles de presse comme celui de Risk qui mentionne Dexia), un certains nombre de banques ont attendu plusieurs années pour introduire ces différences dans leur comptes. Non pas parce que les connaissances manquaient ou à cause d'une impossibilité pratique de les calculer mais les introduire dans les comptes mettait en évidence des pertes existantes et des risques. Malheureusement ces rumeurs sont invérifiables parce que les entreprises (financières en particulier) ne sont pas obligées de détailler les techniques qu'elles utilisent pour estimer la valeur de leur bilan. Tout au plus indiquent-elles qu'elles utilisent des "best practice" qui sont souvent en réalité de vielles recettes de grand mère mais la grand mère n'est plus là pour expliquer comment s'en servir.

Ces chiffres Libor, qui à l'origine étaient simplement une estimation de taux interbancaires qui était utilisée par les banques elles-mêmes, sont maintenant utilisés dans d'autres contextes (prêts aux entreprises, crédit hypothécaires, emprunts de collectivités locales, etc.). C'est le cas d'un chiffre utile dont l'utilisation est allée bien au-delà de ce pour quoi il a été crée; avant de ce plaindre du chiffre lui-même, les utilisateurs devraient faire leur "mea culpa" et accepter que cela est un peu de leur propre faute. Ils utilisent un chiffre sans savoir ce qu'il représente vraiment. Cela me fait penser aux agence de notation dont l'opinion n'a pour moi pas plus de valeur qu'un article de presse (et c'est aussi la défense des agences de notations elles-mêmes) mais "on" leur a donné une valeur de vérité universelle. Les coupables sont les "on", entre autre la BCE, autant que les agences.

Il y a aussi des affirmations étranges qui circulent dans la presse en lien avec les taux Libor ou Euribor. Une d'elle concerne les "swaps" (entre un taux fixe et un taux Ibor). La presse indique régulièrement que ces taux swap en Euro sont liés aux taux gouvernementaux allemands [1]. Il est assez difficile de comprendre d'ou vient cette affirmation. Les chiffres Euribor sont calculés comme des moyennes de chiffres fournis par différentes banques internationales; il n'y a rien de lié au gouvernement allemand. Les banques allemandes ne représentent qu'une petite minorité du panel. S'il fallait donner une nationalité aux taux Euribor, ce serait belge: la société qui a les droit sur ces taux est une société de droit belge (Euribor-EBF). La seule raison pour laquelle les taux swaps peuvent très indirectement être comparés aux taux allemands est leur niveaux. Avec la crise les taux des pays moins solides ont fortement augmenté alors que les taux allemands et les taux swap sont restés bas. Mais si c'est là le seul argument, ont pourrait de la même façon dire que ce sont des taux hollandais ou finlandais. Pour moi l'origine de cette "rumeur" est assez mystérieuse mais elle est répétée régulièrement.

Les taux swaps sont souvent décrits comme des taux interbancaires. Cette affirmation peut être vue comme correcte dans un sens très restrictif, mais sans plus de précision, elle induit fortement en erreur. Le taux d'un swap est le taux annuel fixe que les parties acceptent d'échanger contre un paiement régulier (trimestriel ou semi-annuel) d'un index Ibor; l'index lui-même représentant une moyenne de taux interbancaires présumés. Il est important de noter que les banques participant au paniers Ibor sont revues en permanence et les chiffres des banques les plus faibles (les taux les plus hauts) sont éliminés de l'index. Le crédit sous-jacent à un swap 5 ans est le risque trimestriel d'un panier de banques de bonne qualité (les mauvaises banques sont enlevées du panier) et dont on a enlevé les plus faibles. C'est donc un risque interbancaire revu de manière régulière et dont le risque principal a été enlevé. C'est assez loin d'un vrai risque interbancaire avec un contrepartie fixe. C'est pourquoi les taux payés par les banques sur le moyen terme (5 ans) sont bien supérieurs aux taux swaps. Les banque payent en général entre 50 et 200 points de base (0.50% à 2.00%) au-dessus du taux swap.

Les indices Ibor, a l'origine un outil pour les banques, ont été utilisés, sans doute à tort, par de plus en plus de monde qui les comprenaient de moins en moins; avec la crise cette ignorance répandue a pris plus d'importance. Mais il n'y a rien de nouveau sous le soleil de Ibor, cela reste un outil crée par les banque pour les banques et relativement bien compris par une minorité d'experts. Malheureusement il a été mal compris par le management des banques et certains utilisateurs ont été mené à croire que c'était un chiffre objectif.

[1] Voir par exemple L'Echo du 17-18 mars, page 23, dans un article sur Dexia.

lundi 5 mars 2012

Conseil d'administration et quotas

L'idée d'imposer des quotas de certaines catégories de personnes dans certaines circonstances n'est pas neuve. Cette idée est en particulier discutée au niveau européen pour imposer un certain quota de femmes dans les conseils d'administration.

Pourquoi veut-on imposer un quota? La réponse est simple, c'est parce qu'il y a la perception d'un manque de diversité dans un domaine, ici dans les centres de décision des entreprises. Imposer un quota est-il une bonne chose. Par conviction personnelle, je ne suis pas un fanatique des quotas, quels qu'ils soient. Et je ne suis certainement pas le seul puisque la première page du Financial Times du 5 mars cite Mme Reding (commissaire européenne à la justice) à propos des quotas de femmes dans les conseils d'administration: "I'm not a fanatic about quotas … but I like the results quotas bring about". D'un autre coté je suis assez favorable à la diversité, en particulier dans les conseils d'administration. Je cite aussi l'extrait d'une lettre de Mme Parisot (Présidente du Medef - France) au même Financial Times publiée le même jour: "Study after study has shown that a greater proportion of women at the top table leads to increased profitability". La par contre je dois indiquer mon désaccord. Mon désaccord est sur le mot "leads". Au mieux les analyses montrent une corrélation, non une conséquence, entre une certaine diversité de genre et un résultat positif. Je suis convaincu qu'une ouverture d'esprit vers d'autres points de vues mène à la fois à plus de diversité dans le conseil d'administration, en particulier une diversité de genre, et à prendre en compte plus d'alternatives, ce qui a un lien avec une profitabilité accrue.

Si on veut améliorer le fonctionnement des entreprises par une plus grande diversité des conseils d'administration, il faut demander une vraie diversité, pas seulement de genre. La nomination récente du conseil d'administration de Dexia Banque Belgique (devenue depuis Belfius Banque) est un vrai cas d'école. Sur dix membres du conseils d'administration il y a sept hommes et trois femmes. Les hommes sont sur-représentés c'est certain, mais les femmes sont au moins représentées en partie. Prenons un autre point de vue, les formations des membres: il y a sept économistes et trois juristes et zéro "autre". Ces "autres" (scientifiques, informaticiens, linguistes, …) ne sont pas représentés du tout. Dans les salles de marché des banques, les formations qui dominent sont celles qui manquent autour de la table: scientifiques (mathématiciens, ingénieurs, physiciens). Une proposition plus intéressante serait d'imposer des expériences diverses. Pour reprendre le cas de Belfius, Mr Bouckaert, le président est licencié en économie avec une expérience commerciales dans la banque. On pourrait imposer au minimum deux autres formations et deux autres expériences bancaires. On pourrait demander deux formations parmi: droit, finance, mathématique, informatique; deux expériences parmi: banque de détail, trading, analyse quantitative, gestion des risques, marketing, back-office, ressources humaines. Cela me semble une diversité aussi importante que la diversité homme/femme.

Si il y a une vraie proposition pour plus de diversité dans les conseils d'administration, elle aura mon soutient (pour ce qu'il vaut). Si la seule diversité d'une proposition est une diversité imposée de genre, la proposition ne me satisfait pas. La diversité la plus importante est une diversité de formation et une diversité d'expérience.

"L'issue aurait été différente si Lehman Brothers s'était appelé Lehman Sisters."
Neelie Kroes - Commissaire européenne - 2009