vendredi 10 février 2012

Taxe sur les transactions financières: une étude mise en évidence par la presse.

La presse a fait l'écho d'un article [1] des professeurs S. Griffith-Jones et A. Persaud à propos de la taxe sur les transactions financières mise en évidence par le groupe du parlement européen des socialistes et démocrates.

Le point de l'étude mis en évidence est impact positif sur le GDP d'environ 0.25% du GDP. Cette conclusion est assez différente de mes conclusions et je voulais comprendre où nos analyses différaient. A la lecture de l'article ma conclusion est qu'il ne s'agit pas d'une différence d'analyse mais simplement on ne parle pas de la même chose! Leur analyse concerne principalement une taxe sur les transactions d'actions et d'obligations avec quelques références aux options sur actions, mon analyse concerne principalement les produits dérivés sur taux de change et d'intérêts (les transactions avec les notionnels les plus importants).

Après la lecture de l'article je voulais faire quelques commentaires à propos de son contenu. A ma connaissance l'article n'a pas été publié dans un journal avec une revue par des pairs (mon blog non-plus me direz vous ;-)). J'ai l'impression que certains fait à propos des marchés financiers ne sont pas connus des auteurs ou sont ignorés pour mettre leur thèse en avant.

Le chiffre de +0.25% (en GDP) est mentionné au début de l'article, quelques fois au milieu et dans la conclusion mais il n'y a pas d'indication de comment il est calculé. Je ne peux donc pas commenter ce chiffre.

L'article parle d'une taxe de 0.10% sur les "sécurités", c'est-à-dire les actions et les obligations, payées uniquement par les institutions financières. Les prêts bancaires sont exclus de la taxe. Les auteurs insistent sur la façon de mettre en place la taxe pour éviter la fraude. La fraude voulant dire dans ce cas ci, effectuer une transaction pour laquelle la taxe est due et ne pas la payer. Leur argument sur ce point est acceptable mais selon moi est une bonne réponse à une mauvaise question. Le problème n'est pas l'évitement ("avoidance" dans l'article) illégale mais l'évitement légal. Les banques n'ont aucun intérêt à faire des actes illégaux; il leur suffit de changer leur organisation et de faire en sorte que la taxe ne soit pas due sur leurs transactions. C'est un évitement par déplacement de l'activité ou changement de sa description qu'il faut craindre.

Les seuls instruments dérivés discutés dans l'article sont les options sur actions. L'argument fait sur cet instrument est que les transactions faites sur le sous-jacent(*) pour couvrir le risque du produit dérivé seront redevable de la taxe même si le produit dérivé lui-même parvient à échapper à la taxe. Cet argument ne peut pas être utilisé pour les produits dérivés avec les notionnels les plus élevés: les produits sur taux de change et d'intérêts. Pour un produit dérivé lié aux taux USD/JPY, aucune partie du sous-jacent n'est échangée en Europe. Pour un produits dérivé lié à un index Ibor (les dérivés d'intérêts les plus fréquents), le sous-jacent n'est échangé … nulle part (le sous-jacent est un index, c'est-à-dire un chiffre qui est écrit sur un morceau de papier ou enregistré dans un ordinateur).

[Modifié le 11 février]
 Les auteurs mentionnent aussi que l'"élasticité" pour les frais sur transactions d'actions est d'environ 1. Ce qui veut dire que si les frais des transactions sont augmentées de 1% du montant des frais, le nombre de transactions diminue de 1%. Mr Van Dessel (président de la Bourse de Bruxelles) estime que les coûts des transactions y seraient multipliés par 13 (+1200%) avec une taxe de 0.10%. Mais les auteurs ne semblent considérer que les investisseurs privés qui payent des commissions aux intermédiaires pour leurs transactions. Si le chiffre d'élasticité peut être étendu aux autres transactions financières (une hypothèse que les auteurs font implicitement), pour les produits dérivés avec des frais de transaction pratiquement nuls, même une petite taxe serait plusieurs dizaine de fois les frais actuels et aurait un impact bien supérieur. Mais les auteurs n'abordent pas ce point.

[Ajouté le 10 février] L'étude indique que la valeur des marchés d'actions serait accrue car la taille des erreurs de valorisation serait réduite et la probabilité de crises serait réduite. Pour arriver à ce chiffre les auteurs font le calcul suivant: si la probabilité de crise est réduite de 5% (un chiffre hypothétique et non justifié, mais passons) et que les crises actuelles décroissent la valeur de 33% et ont lieu tous les 10 ans, toutes choses restant égales par ailleurs, cela donne 0.05x0.33x0.10=0.16% de gain. Mais par définition la crise (ou explosion d'une bulle) est l'élimination des erreurs de valorisation. Donc, toutes choses restant égales par ailleurs, si l'impact est tel que la fréquence des crise est réduite de 5%, la taille des bulles est réduite aussi de 5% et l'impact sur le long terme est le même! Ils continuent en disant (ma traduction) "l'équation devrait prendre en compte si la réduction des risques accroit le rendement des avoirs sur le long terme ou simplement change le profile de rendement dans le temps". Autrement dit ils se posent la question de savoir si leur interprétation ou celle que je présente est correcte. Après avoir calculé un chiffre et prétendu qu'il représentait un "accroissement de la valeur des marchés", ils se demandent ce que représente réellement le chiffre calculé, n'apportent pas de réponse à leur propre question mais maintiennent la conclusion qu'ils avaient tiré du chiffre.

Dans leur analyse les auteurs relèvent plusieurs exemples où une taxe sur "transactions financières" existe, en particulier au Royaume-Unis et aux Etats-Unis. Ces comparaisons ne sont pas pertinentes. La taxe aux Royaume-Unis ne s'applique pas aux intermédiaires financiers. Cette taxe est donc exactement l'opposée de celle analysée dans leur article. Comment obtiennent-ils une conclusion en comparant à une taxe opposée dans son application n'est pas très clair. La "taxe" aux Etats-Unis est celle de la Securities and Exchange Commission (SEC). Une première remarque est technique; le payement n'est en fait pas une taxe sur les transactions mais une "participation aux frais de régulation" payée par les bourses en proportion des montants échangés. Les montants ne sont pas du par ceux qui font les transactions mais par les bourses. Le montant total ne dépend pas du nombre de transaction, le montant total est fixé et sa répartition entre les bourses dépend des volumes. Mais le point important n'est pas ce point technique mais le montant. Le montant de 0,00257% mentionné dans l'article pour la taxe n'est correct que pour les actions. Pour les futures (qui forment le notionnel le plus important sur les bourses américaines) le montant est de 0,0042 USD pour deux transactions (un achat et une vente). Les futures les plus utilisés sont les futures sur Libor avec un notionnel de USD 1.000.000 et les futures sur obligations gouvernementales avec un notionnel de USD 100.000. Cela fait des taux de taxe respectivement de 0,00000021% et  0,0000021% par transaction (j'ai vérifié le nombre de zéros et je crois qu'il est juste, mais il y en a tellement que c'est difficile à compter).

Il y a aussi quelques détails "amusants". Les auteurs donnent une estimation d'une taxe de 50% de la valeur du portefeuille pour un portefeuille de transactions à hautes fréquences. Je ne sais pas si c'est de l'humour ou une incompréhension de ce qu'est le trading haute fréquence. Ailleurs ils parlent d'appels de marge supplémentaires si les risques d'une option ne sont pas couverts ; une affirmation pour le moins étrange et liée à aucun standard de marché.

En conclusion une étude qui ne contredit pas mes prédictions, contient plusieurs erreurs sur les marchés financiers et manque d'argument sur sa conclusion principale. Si j'étais l'arbitre (referee) d'une telle publication pour un journal de finance, je proposerais de rejeter directement la publication, sans même suggérer une révision.

(*) Même si l'argument est convenable, leur exemple est sur l'action américaine GE (General Electric) pour laquelle leur argument ne s'applique pas dans le cas de la taxe européenne étudiée dans leur article.

[1] S. Griffith-Jones and A. Persaud. Financial Transaction Taxes. Il n'y a pas d'indication de l'origine de la publication ni de l'affiliation des auteurs sur le document. Disponible à (je n'ai pas trouvé de lien académique vers cette publication): http://www.socialistsanddemocrats.eu/gpes/public/detail.htm?id=136621&section=NER&category=NEWS&startpos=&topicid=&request_locale=EN

mardi 7 février 2012

Régulateurs et évolution.

Un petit article (plutôt un éditorial) intéressant intitulé "Dangerous adaptation: the evolution of risk" dans le magazine Risk (D. Rowe, Octobre 2011, p76, http://www.risk.net/risk-magazine/opinion/2108324/dangerous-adaptation-evolution-risk).

L'auteur décrit la gestion des risques et la régulation dans une perspective d'évolution dans le sens darwinien du terme. Je voudrais relever quelques phrases (la traduction est de moi): "Cette réalisation met en évidence la futilité fondamentale des tentatives de diriger des institutions financières en utilisant des micro-régulations détaillées, spécialement quand les règles n'évoluent pas sur des semaines ou des mois mais des années.", "Il y a beaucoup de critiques des méthodes utilises par les agences de notation pour déterminer quelle quantité de subordination était nécessaire pour une obligation garantie par des crédits subprime pour atteindre le statut AAA, et la loi de Goodhart est une de celle-ci: une fois que les agences ont publié leur méthodologies, le marché commence a les contourner de toutes les façons possibles. Cela sape la fiabilité déjà limitée des notations." et "Pendant que les politiciens et les régulateurs sont en retard d'une guerre, il est essentiel pour les gestionnaires de risque de rester alerte aux différentes manières dont les marchés et les institutions financières adaptent leurs produits et stratégies."

Cela va dans le sens de mon opinion sur une approche différente de la régulation: moins de règles et plus de jugements.

La référence a la loi de Goodhart ne doit pas seulement être vue dans le sens d'un comportement humain qui consiste a utiliser une règle a son avantage. Dans certain cas c'est aussi un résultat technique. En utilisant une règle imparfaite dans une technique d'optimisation, on n'optimise pas seulement le résultat (c'est la bonne partie) mais on optimise (maximise) également l'imperfection (c'est la mauvaise partie).  Dans un article relativement ancien (Using value-at-risk to control risk taking: how wrong can you be?, J. of Risk 1(2), 1999), les auteurs montrent qu'en optimisant certaines caractéristiques d'un portefeuille (par exemple le rendement) avec des limites sur une mesure de risque utilisée par les régulateurs (value-at-risk - VaR), la mesure sera biaisée vers le bas. Autrement dit, une fois la règle connue, on sous-estimera naturellement et systématiquement le risque même en l'absence d'intention de la contourner. Peut-être même pire, ceux qui font confiance dans la mesure officielle et l'utilisent dans leurs choix stratégiques seront systématiquement trompés et prendront plus de risque que voulu.

Il y a dans le code de la route la notion de conduite dangereuse. Une notion un peu vague mais qui permet d'écarter les fous du voulant. Peut-être une notion similaire devrait-elle apparaitre dans la régulation des institution financières. Ce n'est bien sur pas une panacée mais un outil utile s'il est mis dans de bonne mains. En parlant de bonnes mains, on revient sur la nécessité d'avoir des régulateurs compétents avec des connaissances et expériences équivalentes a celles disponibles dans les banques. Est-ce la cas? Je n'ai jamais vu un régulateur belge parler a une conference internationale de finance quantitative, ni vu un article technique écrit par l'un d'eux; il est donc difficile de répondre a la question. Le refus en Belgique de ces régulateurs de donner accès a une commission parlementaire a leurs documents, ne renforce pas la conviction que c'est le cas.

jeudi 2 février 2012

Conseil d'administration de Dexia Banque Belgique: les choix.

Le gouvernement a approuvé la composition du conseil d'administration de Dexia Banque Belgique. Les membres du conseil sont: Alfred Bouckaert, Guy Quaden, Martine Durez, Serge Wibaut, Pierre Francotte, Mieke Dequae, Chris Sunt, Lutgart Van den Berghe, Rudi Vander Vennet et Wouter Devriendt.

Dans un blog fin décembre je faisais des voeux pour un conseil d'administration avec des compétences plutôt que des noms. Je prédisais aussi que mes voeux ne se réaliseraient pas. Je suis assez heureux de constater que mes prédictions se sont avérées en grande parties incorrectes. Le conseil d'administration semble comporter bien plus de compétences que ce a quoi je m'attendais et bien plus que le conseil d'administration de Dexia SA.

Pour chacun des administrateurs, je donne quelques éléments de leur CV que j'ai pu collecter:

Alfred Bouckaert: Licence en économie. Consultant chez Arthur Andersen. Directeur commercial de Chase Manhattan Bank en Belgique; fusion avec Crédit Lyonnais Belgique. Responsable des activité européennes du Crédit Lyonnais. Direction d'AXA Belgique et puis de AXA Europe du Nord.

Guy Quaden: Doctorat en économie. Professeur a l'université de Liege. Gouverneur de la Banque Nationale de Belgique (BNB) (1999-2011). Representant de la BNB dans differentes institutions internationales.

Martine Durez: Doctorat en économie. Professeur ordinaire à l'université de Mons-Hainaut (jusqu'en 1997). Présidente de bpost. Membre d'autres conseils d'administration.

Serge Wibaut: Doctorat en économie. A travaillé à la Chase Manhattan Bank et à l'ALM chez Dexia. Ancien CEO de Axa Banque Belgique. Membre du conseil d'administration de Fortis Banque. Chargé de cours invité aux Facultés Universitaires Saint-Louis et à Université Catholique de Louvain.

Pierre Francotte: Mastère en droit. Carrière dans les départements juridiques d'institutions financières (FMI, Euroclear) avant de devenir CEO de Euroclear Bank.

Marie-Gemma (Mieke) Dequae: Licence en droit et économie. Gestionnaire des risques de l'entreprise Bekaert. Présidente de FERMA (association européenne de gestionnaires des risques dans des organisations publiques et privées) de 2005-2009.

Chris Sunt: Licence en droit. Avocat spécialisé en droit des entreprises, de la finance et des fusions et acquisitions.

Lutgart Van den Berghe: Doctorat en économie. Professeur a temps partiel a l'université de Gand, membre de conseil d'administration de plusieurs entreprises. Recherches dans le domaine de la corporate gouvernance.  Publications dans des revues internationales.

Rudi Vander Vennet: Doctorat en économie. Chercheur NFSR, cabinet de ministres de l'économie, ministres du budget. Professeur ordinaire a l'université de Gand. Conseil d'administration de plusieurs entreprises. Publications dans des revues internationales.

Wouter Devriendt: Licence en économie et MBA. Responsable des ventes aux institutions financières et au secteur public pour ABN à Londres. Responsable de l'intégration Fortis/ABN Amro. Cabinet du ministre des finance.



En plus d'avoir des individualisé, le comité doit aussi faire un tout avec une diversité. Qu'en est-il dans ce cas ci? Là mon enthousiasme est moindre. Les profiles de tous les membres du comité apparaissent assez similaires. Sur les dix membres, il y a sept économistes (dont cinq docteurs) et trois juristes. Seul quatre ont travaillé dans des banques, principalement dans les département commerciaux et juridique. La seule exception est peut-être Mr Wibaut qui a travaillé à l'ALM.

En comparant avec les formations recherchées par les banques, les scientifiques manquent dans le comité. La grande majorité des employés dans les salles de marché, la gestion des risques et les départements informatiques sont des scientifiques (mathématiques financières, ingénieurs, physiciens, informaticiens). Mais ces experts techniques ne semblent pas être nombreux parmi les directeurs et complètement absents du conseil d'administration. Si je reprends la liste des compétences que je décrivais dans mes voeux, celles que je mentionnais comme manquant souvent semblent manquer à nouveau et sont en ligne avec les formations manquantes: salle des marchés (trading et analyse quantitative), informatique et connaissance des modèles de gestion des risques (marché, crédit, Bâle III) et de valorisation des produits dérivés.


Si c'était le bulletin d'un élève, je dirais: "De gros efforts depuis la dernière fois, continuer dans cette direction". La majorité de politiciens avec très peu de connaissances bancaires a été remplacée par des économistes et des juristes avec des connaissances bancaires. Le comité manque néanmoins de diversité dans les expériences de ses membres et quelques membres avec une connaissance profonde de certains aspects des banques.